La pasionaria du théâtre pour ados

La pasionaria du théâtre pour ados

Recherche et rédaction : Sophie Pouliot. Avril 2024.

Rencontrer Sylvie Lessard, c’est être emporté dans un tourbillon de ferveur et de conviction, c’est être happé par la perspective que tout est possible si l’on y met cœur et volonté. Un échange avec celle qui a cofondé, en 1996, et dirigé pendant près de trois décennies l’incontournable festival Rencontre Théâtre Ados (RTA), et qui s’apprête à passer le flambeau, ne peut que s’avérer captivant et inspirant. 

Qu’est-ce que cela vous fait de recevoir le tout premier Prix Hommage remis par Culture Laval? 

Quand on m’a appris la nouvelle, j’étais, en quelque sorte, en état de choc. Tellement de gens ont œuvré avant moi à promouvoir la culture sur le territoire lavallois… pourquoi moi, je serais récompensée ? Puis on m’a rappelé ce que j’avais accompli et j’ai compris. (Rires) Depuis, je suis fière et très heureuse que la Ville reconnaisse l’apport des travailleurs de l’ombre. Je n’ai pas choisi un métier qui ferait en sorte que je sois dans la lumière; je suis parfois découragée dans mon petit bureau situé dans un modeste centre communautaire arménien, car nous avons de gros défis, notamment financiers, à affronter en culture. L’art passe toujours en dernier. Tout le monde en a besoin, qu’il s’agisse de théâtre, de littérature ou de cinéma, mais le soutien pour tout ça… il est où ? Je suis vraiment contente que Laval reconnaisse l’importance de ce pan essentiel de l’existence humaine et le rôle qu’y jouent les travailleurs culturels.  

Si je compare la RTA à un jardin, au début, tout se résumait à une pioche, une pelle et de grosses roches. On a travaillé fort pour que la terre devienne fine, porteuse, fertile. Je pense qu’on a apporté, de concert avec le Festival Petits Bonheurs et la programmation jeune public de la Maison des arts, une belle personnalité à Laval. On œuvre à ce que le théâtre jeunesse rayonne toujours plus et mieux, le tout au profit des artistes bien sûr, mais surtout des jeunes Lavallois et de leurs familles. Cette reconnaissance que l’on m’offre me touche énormément. 

Pourquoi vous être intéressée, dès le début de votre carrière, au public adolescent ? 

J’aurais aimé ça, voir des spectacles, quand j’étais ado. Je faisais du théâtre au secondaire, mais j’aurais aimé voir ce que ça donnait, un show avec de vrais acteurs. On nous imposait les productions des étudiants de l’école… mais ce n’était pas toujours très bon. Quand j’ai assisté, lorsque j’étais au cégep, à mes premiers spectacles professionnels, je me suis dit : c’est ça, moi, que je veux voir ! Toute cette aventure est donc née du manque que j’ai éprouvé, de l’envie non assouvie que j’ai eue de voir du théâtre qui n’était pas fait par des amateurs. J’aurais aussi aimé rencontrer, jeune, quelqu’un qui pratiquait le métier que je fais aujourd’hui pour savoir que ça se pouvait. Les autres cofondateurs de la Rencontre Théâtre Ados et moi avons appris sur le tas et à la dure à inventer quelque chose, à être des entrepreneurs. 

Vous vous définissez, entre autres, comme une entrepreneure ? 

Un jour, à la Chambre de commerce et d’industrie de Laval, quelqu’un m’a demandé ce que je faisais dans la vie. Quand je lui ai dit que je dirigeais un festival de théâtre pour adolescents qui se déroulait à la Maison des arts de Laval, il ne comprenait pas trop en quoi consistait mon travail. Je lui ai dit que, essentiellement, j’achetais des spectacles, je louais une salle, je vendais des billets et j’allais chercher des subventions pour que tout cela soit possible. Il m’a rétorqué : Ah! T’es entrepreneure. Eh bien oui, je crois que je suis une entrepreneure.  

J’ai aussi réalisé que, parfois, on utilise un vocabulaire propre au milieu culturel, mais qu’il y a une manière de parler qui permet aux gens de comprendre le travail qu’on fait et qui rend cet univers plus accessible. Par exemple, si on tape « diffuseur » (un mot courant dans notre jargon) dans un moteur de recherche, on va trouver des parfums d’ambiance et non la Maison des arts. 

Vous prônez d’ailleurs, depuis toujours, la démocratisation de la culture. Celle-ci passe notamment par la médiation culturelle, non ? 

Le milieu culturel a beaucoup de travail à faire, surtout depuis la pandémie, car les gens sortent de moins en moins dans les salles de spectacle. Si on veut revaloriser la sortie dans un lieu culturel, je pense qu’il va falloir procurer des outils aux gens pour qu’ils aient envie de venir nous voir. Et je ne pense pas que c’est d’infantiliser le public que de lui donner de tels outils pour qu’il comprenne une œuvre. C’est plutôt un geste d’ouverture à l’autre. Ça peut être sympathique, surtout lorsqu’on n’est pas allés souvent au théâtre, de se voir fournir une clé ou deux pour comprendre pourquoi tels mots sont utilisés, pourquoi la scénographie est de cette couleur-là, par exemple ? 

Est-ce de cette façon que vous avez su apprivoiser un public qui peut sembler rébarbatif à plusieurs ? 

C’est vrai que ça peut faire peur, trois ou quatre ados qui parlent fort dans une salle, qui réagissent comme des enfants, mais qui bougent comme des adultes avec leurs grands corps. C’est mignon, les petits, lorsqu’ils réagissent à un spectacle. Avec les ados, c’est la même chose, sauf que c’est plus fort. Mais il faut tout autant respecter leurs réactions. Le public adolescent, ce n’est pas seulement des jeunes, c’est d’abord et avant tout un public. Il faut l’accueillir dans les règles de l’art. Presque à chaque représentation, je m’installe au bout d’une rangée et je dis : « Bonjour ! Merci beaucoup d’être venus ! » Certains ne me regardent pas, mais d’autres me remercient à leur tour. On le ferait avec des adultes, pourquoi ne pas le faire avec eux ? 

Ceci dit, c’était quand même assez ardu de jouer pour des ados dans les débuts de la RTA. Or les spectacles du Théâtre Le Clou fonctionnaient super bien. L’attention du public était concentrée sur la scène. Oui, leurs productions étaient de grande qualité, mais il en allait de même des autres pièces qu’on programmait, créées par d’autres compagnies. Je leur ai donc demandé quel était leur secret. Ils nous ont dit : « Ce n’est pas compliqué, avant les spectacles, on va en classe parler aux jeunes. » Je me suis dit qu’on allait le faire aussi. Autour de 2010, on a formé une brigade de travailleurs, d’artistes, qui sont devenus, avec le temps, des médiateurs culturels. 

Pendant quelques années, la présidente du conseil d’administration de la RTA était une psychothérapeute œuvrant auprès des jeunes. Un jour, elle m’a offert de donner à nos médiateurs une formation sur le développement cognitif de l’adolescent. Cela leur a permis de s’adapter au niveau de développement des groupes auxquels ils s’adressaient. La médiation, lorsqu’elle est bien faire, ça fait toute la différence. Quand, pour une raison ou une autre, une classe vient voir un spectacle sans avoir reçu la médiation pré-spectacle, on le voit tout de suite dans la salle, par la qualité de l’écoute qui n’est pas du tout la même. 

Cette expertise que vous avez développée en médiation culturelle, vous avez décidé de la partager, n’est-ce pas ? 

Je me suis demandé pourquoi les diffuseurs d’autres régions ne voulaient pas programmer de spectacles pour ados alors que pour nous, ici, ça fonctionne tellement bien. En 2019, un nouveau programme de subvention a été créé au Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) concernant la circulation des œuvres dans la province. J’ai voulu que la Rencontre Théâtre Ados soit un peu partout au Québec et qu’on apporte notre expertise en formation de médiateurs. J’ai aussi voulu que les spectacles que l’on accueille puissent voyager ailleurs que dans la région métropolitaine. On a alors mis sur pied un répertoire duquel les diffuseurs peuvent s’inspirer. C’est ainsi que le Parcours Cré’Ados et son répertoire sont nés. On a fondé un réseau qui offre donc du référencement de même que du financement, venant du CALQ. Celui-ci tient à soutenir les diffuseurs qui prennent des risques en présentant sur scène du conte, de la danse contemporaine… ou du théâtre pour adolescents. 

Quelqu’un m’a demandé, dernièrement, pourquoi je faisais ça. Je lui ai répondu : par altruisme. Il faut que ça marche, le théâtre pour ados, et que les diffuseurs osent le théâtre de création. Et s’ils le souhaitent, on leur offre aussi notre formation en médiation culturelle et en développement de public, pour que des artistes locaux aient envie de rester dans leur région pour faire de la médiation. 

C’était un de nos projets, au tout début de la RTA, de former un réseau. C’était un de nos rêves. Ça aura pris une vingtaine d’années, mais on y est arrivés. 

Est-ce que cette réalisation participe au sentiment de sérénité qui semble vous habiter au moment de quitter vos fonctions ? 

J’ai le sentiment du devoir accompli. Les rêves que j’avais, je les ai réalisés. Je ne quitte ni amère ni en claquant la porte. Je laisse ce bateau-là en super santé. La RTA a une belle équipe, un bon financement, sans compter la crédibilité que nous avons acquise. Si tout le monde continue de bien travailler, et je suis certaine que ce sera le cas, cette organisation est là pour rester et j’en suis fière. Notre plus récent plan stratégique, on l’a fait tous ensemble. Chaque membre de l’équipe était partie prenante de l’opération, ce qui me rassure beaucoup, car chacun pourra se l’approprier une fois que je ne serai plus là. 

Au fil de toutes ces années que vous avez consacrées à promouvoir le théâtre pour adolescents et à vous assurer qu’il rencontre le plus efficacement possible son public, est-ce que le jeu et la création, qui ont été votre porte d’entrée dans le milieu des arts, vous ont manqué ? 

Non. Je pense que j’avais un certain talent, mais je me suis rendu compte que j’étais aussi douée en administration et que je suis une très bonne hôtesse. J’aime ça, accueillir. C’est comme recevoir à la maison : préparer un bon repas et s’assurer que les gens aient une belle expérience. C’est ce que je veux offrir aux artistes à partir du moment où ils entrent dans la Maison des arts : les emmener vers les loges, leur offrir un panier de fruits, une petite carte, faire en sorte qu’ils aient envie d’être là. C’est la même chose avec le public. Quelqu’un m’a dit un jour que j’étais affable. Je suis allée voir dans le dictionnaire ce que ça voulait dire et j’ai trouvé : qui aime accueillir. Eh bien, oui, je suis affable ! 

Vous avez toujours tenu à ce que les jeunes puissent non seulement voir du théâtre, mais aussi en faire, notamment grâce à la Ligue d’improvisation de la Rencontre Théâtre Ados, la LIRTA. Pourquoi ? 

À mon avis, pour les ados, il n’y a rien de mieux que d’expérimenter quelque chose, de se l’ancrer dans le corps. Les jeunes apprennent beaucoup en faisant les choses, je pense aux ateliers de chimie ou même à l’éducation physique. Le théâtre, c’est très cérébral. Il n’y a rien comme de jouer un texte pour comprendre la complexité du jeu, du rapport entre les personnages. Je crois que quand les étudiants l’expérimentent, comme lorsqu’ils pratiquent l’improvisation, ça leur amène une autre vision du théâtre. Et je pense qu’il y a bien des gens qui, adultes, vont voir des spectacles parce qu’ils ont fait, plus jeunes, du théâtre amateur. Ça prend du temps, des générations, créer les habitudes culturelles d’une société.  

Avez-vous une idée de ce qui vous attend sur le plan professionnel ? 

Je suis accompagnée par un orienteur professionnel. Car je ne suis pas en fin de carrière! Cette personne m’a fait réaliser que bien que je ne serai plus la directrice générale et artistique de la RTA, je resterai toujours sa cofondatrice, et ça, c’est précieux. Maintenant, je veux redonner au suivant. Je souhaite être une coach, une mentore. J’ai appris mon métier à la dure et je me rends compte que celui-ci, ou même le fait de se mettre en marché comme artiste, de créer sa compagnie, ça ne s’enseigne pas dans les écoles de théâtre. Je commence à avoir des idées… Car il vient un moment dans la vie où il est au moins aussi gratifiant de donner que de recevoir. 

Découvrir le portrait de Sylvie Lessard par Sophie Pouliot

À propos de Culture Laval

Fondé en décembre 2014, Culture Laval agit à titre de partenaire privilégié en matière de développement culturel sur le territoire lavallois. Sa mission consiste à rassembler, concerter, représenter, conseiller et accompagner les acteurs du milieu culturel lavallois et leurs partenaires afin de favoriser l’essor de la culture au bénéfice des citoyens, le tout dans une perspective de développement durable. 

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